Avant de négocier avec un Chinois, vous devez d’abord étudier certains aspects de son code culturel. Et parmi les concepts dont il faut avoir connaissance, il y a le “Mianzi”, un terme que l’on traduit habituellement par “visage” ou par “face” associé à la notion de “garder/perdre la face”. Éclaircissements.
Qu’est-ce que le Mianzi ?
Le Mianzi est un concept millénaire qui existe depuis la dynastie Tang (VII ième siècle ap. JC), un code culturel qui rythme les relations entre les Chinois, tant dans la sphère familiale que professionnelle, quels que soient l’âge et la classe sociale.
Le respect à son paroxysme
En Occident, nous avons l’art de la rhétorique. En Orient (Chine, Corée du sud et Japon), il y a l’art de garder la face. Si ses deux disciplines enseignent à soigner le discours et accordent une grande importance au choix des mots, leur finalité ne pourrait pas être plus opposée.
En effet, la rhétorique sert le débat, tandis que le Mianzi sert le compromis. Dit autrement, les relations entre les Chinois ne sont jamais la scène d’un duel argumentaire où “tous les coups sont permis”. Bien au contraire, il s’agit de prendre soin de son interlocuteur, de veiller à ce qu’il ne soit jamais pris au dépourvu par une question incisive, de faire attention à ne pas inviter ni l’ombre d’un désaccord et de se garder de le contredire.
Pour résumer de manière un peu grossière : le Mianzi, c’est le respect de l’autre porté à son paroxysme, c’est respecter l’autre plus que soi-même si nécessaire.
Mianzi et Lian
En réalité, la notion de Mianzi est bien plus complexe qu’une simple “marque de respect”. Celles et ceux qui souhaitent d’ailleurs approfondir le sujet comme il se doit trouveront une liste d’ouvrages dédiés en fin d’article.
Toutefois, même s’il ne s’agit que d’effleurer la signification du Mianzi en Chine, il est utile d’introduire le concept de “Lian”. En effet, les deux sont liés :
- Le “Lian” se rapporte à tout ce qui à trait à la morale, l’intégrité, le respect. Une personne qui a “un fort Lian” est une personne de confiance ;
- Le “Mianzi” fait davantage référence au prestige du statut social, à l’éducation, au pouvoir. Ainsi, une personne qui a “un fort Mianzi” est une personne que l’on respecte, qui a de l’autorité sur les autres.
Une personne qui n’a pas de Mianzi n’a pas de Lian. Cependant il est possible d’ avoir du Lian sans avoir de Mianzi … L’idéal est toutefois d’avoir les deux : être une personne d’honneur (Lian) qui inspire le respect (Mianzi).
Le Mianzi dans le monde des affaires en Chine
Comme nous l’avons mentionné, le Mianzi est omniprésent dans les relations entre les Chinois. Qu’il s’agisse d’un parfait inconnu, d’un membre de la famille ou d’un collègue de travail, le comportement des Chinois est toujours influencé par le Mianzi.
En ce qui nous concerne, c’est l’usage du Mianzi dans le monde des affaires qui nous intéresse. Et dans ce cas, il nous est impossible de discuter du Mianzi sans mentionner le Guanxi.
En effet, le Guanxi est également l’un de ces grands concepts dont il faut avoir connaissance si l’on souhaite établir de bonnes relations commerciales en Chine.
En effet, pour dire les choses simplement : le Mianzi est au service du Guanxi. Et si pas de Guanxi, pas de succès commercial. Nous vous recommandons donc de vous documenter sur le sujet !
Pour l’heure, retenez simplement que le Guanxi est un carnet d’adresses que l’on remplit patiemment au gré de faveurs et de services rendus. Dans le monde des affaires, avoir un Guanxi est indispensable, que l’on soit Chinois ou pas… Il s’agit en effet d’une sorte de “garantie”.
Et comme vous l’aurez sans doute deviné, pour avoir un Guanxi, il faut maîtriser l’art du Mianzi.
L’art du Mianzi : comment ne pas perdre (ou faire perdre) la face ?
Jusqu’ici, nous avons expliqué que le Mianzi revient, grosso modo, à montrer du respect pour l’autre. Et que cela permet de créer et de fortifier les relations (le Guanxi).
En matière de respect, l’Occident et l’Orient ont plusieurs notions en commun, comme le respect de la hiérarchie, particulièrement ancré en France dans le milieu professionnel. En réalité, la difficulté n’est pas tant de comprendre ce que signifie “être respectueux” mais quels sont les signes de respect pour un Chinois.
Respecter la hiérarchie
Comme nous le disions à l’instant, pour un Français, le respect de la hiérarchie est relativement inné … Mais si vous pensiez qu’il n’y a pas plus cérémonial que la rencontre entre un subordonné et son subalterne, attendez d’assister à un meeting en Chine.
Héritage du confucianisme, les Chinois accordent une extrême importance à la place de l’individu au sein de sa communauté. Autrement dit, plus la personne avec qui vous traitez est haut placée et plus il convient de courber l’échine… Sans pour autant toutefois que cela ne devienne grotesque ou dégradant pour votre personne.
En effet, les Chinois affectionnent tout autant les marques de respect évidentes que celles qui relèvent du subtile :
- Les négociations se déroulent en général entre deux personnes du même rang professionnel (ce qui est assez évident) ;
- Lorsque l’on trinque, on prend soin de placer son verre plus bas que celui de son subalterne (plutôt subtile !).
Donner de la face
Ne pas perdre la face face à un Chinois revient à lui donner de la face.
Concrètement, pour être “bien vu” (avoir une bonne face) en Chine, il faut d’abord s’occuper de l’image (la face) de votre interlocuteur. Si vous le mettez dans une situation gênante, alors vous perdez tous les deux. Si vous l’aidez à monter sur un piédestal, alors vous serez à ses côtés, sur ce piédestal.
Mais alors, comment aider un Chinois à monter sur un piédestal ? Voici quelques parades :
- Offrir un cadeau (une spécialité française par exemple) que l’on présente avec les deux mains, avec humilité et respect. En effet, l’aspect cérémonial est peut-être plus important que le cadeau en lui-même ;
- Inviter au restaurant (ce qui signifie : payer), et prendre soin de choisir un lieu réputé, luxueux. Faire en sorte de commander plus de plats que nécessaire… Les plus onéreux de la carte, bien entendu ;
- Faire des compliments lorsque l’occasion se présente, c’est-à-dire, lorsque votre interlocuteur se montre “faussement modeste” au sujet de la maîtrise de son anglais, de son français ou de quelconque autre prouesse.
Arrondir les angles
Nous le disions un peu plus tôt, en Occident (et peut-être plus particulièrement en France), nous affectionnons les conversations aux airs de débat : utiliser des techniques de persuasions en tous genres et démonter la théorie de notre interlocuteur (devenu adversaire le temps d’un repas), c’est, pour ainsi dire, notre dada.
En Chine, si vous voulez que votre Mianzi prospère, vous allez devoir ranger au placard votre goût de la rhétorique et vos avis bien tranchés.
Les Chinois évitent toujours les conflits. Lorsque deux parties ne sont pas d’accord, elles font tout simplement omission du sujet ou diffèrent la prise de décision. C’est d’ailleurs pour cela que les négociations commerciales peuvent s’étendre sur plusieurs jours …
Ainsi, pour un bon Mianzi, il s’agit de :
- Ne pas donner un avis tranché, surtout s’il s’agit d’un sujet polémique et/ou qui touche la culture chinoise (Par exemple concernant le Tibet) ;
- Ne pas contredire, même s’il s’agit d’apporter une précision factuelle. (Par exemple, si votre interlocuteur pense que le Beaujolais est cultivé en région parisienne) ;
- Ne pas refuser de but en blanc avec un “non”, ni même un “peut-être”. Mieux vaut différer ou repousser votre réponse (Par exemple : ‘oui, nous verrons cela plus tard”) ;
- Être patient, laisser votre interlocuteur mener les négociations à son rythme, sans le brusquer, sans essayer de ramener la conversation aux termes du contrat alors que vous êtes en train de dîner. Laissez-lui la main ;
- Et enfin, toujours réfléchir et agir dans une perspective win-win à long terme et ne pas hésitez à faire des concessions.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à lire :
“Comment ne pas perdre la face face à un Chinois” de Anne-Laure Monfret ;
“La Chine et les Chinois” de Lin Yutang ;
“Chinese Business Etiquette” de Scott D. Seligman.